Du 11 au 15 avril 2023, la ville de Yaoundé a vibré au rythme du festival Ndja’ Ndja M’dzang, le rendez-vous international des balafons. Quelques temps après la tenue de ce grand festival, le président et promoteur du NNM a accordé un interview exclusif à Africultures.

Dans quel contexte est né le festival «Nja Nja M’ndzang » ?

Hilaire Pankui: Je vous remercie pour l’opportunité que me donne votre journal, Africultures, de parler du balafon et du festival Nja’Nja M’ndzang. Tout d’abord, j’aimerais rendre hommage à tous les précurseurs dans la chaîne de valeur du balafon au Cameroun : de par la création, la production, la commercialisation et la diffusion du balafon, ils ont posé à leur manière les bases d’une industrie culturelle et créative. Beaucoup d’entre eux sont morts dans l’indifférence totale. Aucune reconnaissance pour les services rendus à la nation ! Nous constatons également, pour le déplorer, la non structuration du secteur du balafon malgré d’immenses talents de balafonistes dont regorge le Cameroun. A cela s’ajoute l’absence d’un statut des artistes balafonistes, le manque de troupes professionnelles (une sorte de big band balafon avec un projet sérieux), le manque de politique de création, de diffusion et de promotion du balafon. Tout ceci m’a amené à me poser des vraies questions au terme du festibalafon7 à Abidjan, en Côte-d’Ivoire, où j’ai eu la chance de faire une esquisse de l’historique du balafon au Cameroun. Et fort de l’expérience de mon parrain, Ba Banga Nyeck, qui est par ailleurs promoteur du festibalafon Abidjan, en Côte d’Ivoire, je me suis dit qu’il était temps de mettre sur pieds un tel projet dans mon pays.

Que symbolise le balafon pour vous et, pourquoi l’avoir particulièrement choisi, au point d’y consacrer tout un festival ?

Il faut dire que j’ai grandi dans un environnement de balafons. Déjà en 1987, étant jeune chef de chœur de la chorale en français Saint Thomas Apôtre de Baressoumtou à Nkongsamba, je me faisais accompagner par le balafon. J’ai également été influencé par la chorale Sainte Anne d’Obili à Yaoundé, qui avait un orchestre de balafon formidable. En 2012, le Rhumdiki Choir of Cameroon, un chœur patrimonial a été créé. Son objectif était de valoriser la musique dite traditionnelle avec ses instruments, au plus profond des questionnements sur mon apport dans la culture de mon pays le Cameroun. Le balafon est un instrument à percussion de la famille des idiophones dont la résonance est particulière.

Comment s’est opéré le choix de la marraine et celui des différents groupes locaux et étrangers qui ont animé le festival ?

Notre dévolu s’est jeté sur Marie Roger Biloa, car elle est gage de réussite et de visibilité pour notre festival. Elle nous a apporté du dynamisme, elle a donné de la vie au projet et nous a apporté ce qui nous manquait tant : le relationnel ! Sa notoriété et son image de marraine nous ont permis d’avoir une grande visibilité, tant bien sur le plan national qu’international. S’agissant des critères de sélection des groupes, nous avons tenu compte de leur ancienneté, leur vécu, leur expérience et leur pratique musicale. Nous avons tenu compte du genre et des fusions musicales. Quant aux artistes étrangers, ils sont le fruit des collaborations avec les ambassades. Notre festival ne se focalise pas seulement sur le balafon, mais sur les instruments à percussion en général, et sur des fusions musicales autour du balafon. En gros, pour participer au festival Nja’Nja M’ndzang, il faut : soit être un groupe de balafon, un artiste évoluant dans le secteur du balafon ou en fusion, ou tout simplement savoir jouer l’un des instruments de la famille des instruments à percussion.

Quels sont vos rapports avec les promoteurs des autres festivals de balafons en Afrique ?

Nous travaillons depuis deux ans pour faire connaître notre festival, tant sur le plan national qu’international ; cela nous rapproche de plus en plus des différents festivals ainsi que de leurs promoteurs. Des discussions sont menées pour favoriser des échanges et soutenir des initiatives communes. Notre festival est jeune et cherche sa voie ; il a besoin d’apprendre et maîtriser les rouages du métier. Cela prendra du temps mais nous sommes ouverts à toute forme de collaboration pour le bien de nos balafonistes.

Quelle est la spécificité du festival Nja Nja M’ndzang du Cameroun face aux autres festivals de balafons qui existent en Afrique et bien au-delà ?

La spécificité du festival Nja’nja M’ndzang est déclinée dans son appellation. À travers la racine « Ndzang », il traduit la convergence des quatre aires culturelles qu’on retrouve au Cameroun et, partant des différents types de balafons, d’où l’unicité dans l’appellation. Ainsi du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest du Cameroun, le balafon se prononce : « nja, njang, ndzang, nzang, medjang, etc. », ce qui nous a valu de regrouper tous ces noms en un festival pour en faire « un », c’est à dire « l’unité dans la diversité », élément socle de paix et d’unité
nationale du Cameroun.

La présence du public a-t-elle comblé vos attentes en termes d’adhésion, d’affluence, de mixité et de communion dans l’ensemble ?

Durant six jours, le festival international de balafons Nja’nja M’ndzang a pu être présenté sur des scènes à plus de 2500 spectateurs réunis dans 06 lieux différents dans le cadre de la deuxième édition. Ce projet incluant une trentaine d’acteurs venus d’horizons différents a su rythmer toute la capitale, Yaoundé, teintée de rebondissements, mais surtout de belles émotions et moments de partage que nous ne sommes pas prêts d’oublier. Chacune des rencontres est venue enrichir cette expérience où chacun a pu être libre d’apporter sa contribution, rêver, créer et voyager en art et en musique. Le public a répondu présent, s’est
régalé et en a redemandé. C’est pourquoi au lieu de faire tenir le festival sur cinq jours comme initialement prévu, nous avons conclu avec un after.

Quels sont les faits qui vous ont le plus marqué pendant et après la tenue de ce festival ?

Le festival Nja’nja M’ndzang a été marqué par plusieurs faits. Parmi ceux-ci, on peut citer la présence des artistes de renommée internationale tels : Sally Nyolo, Ba Banga Nyeck, Aly Keita, Lucas Niggli, Jan Galega, Groupe Shardafrica. Ces artistes, malgré leur statut de stars mondiales, nous ont gratifié de leur humilité et ont fait corps avec le projet. Nous avons bénéficié également de la présence et de la générosité de la star Yannick Noah qui, non seulement nous a offert gratuitement son espace, le Village Noah, mais a tenu à être présent malgré son agenda fort chargé. Ce soutien, comme beaucoup d’ailleurs, nous ont permis d’atteindre nos objectifs. Un fait très important est l’unanimité autour de notre festival, que cela soit de la part des journalistes ou des artistes eux-mêmes. Les retours du festival sont assez positifs. Tout ceci ne veut pas dire que tout a toujours été rose, non ! Nous avons connu beaucoup de difficultés mais avons tenu à préserver l’essentiel qui est de développer l’industrie du balafon au travers du festival et bien d’autres activités en gestation.

Comment entrevoyez-vous la suite du festival Nja Nja M’ndzang dans les prochaines années ? Quels défis entendez-vous relever à court et à long terme ?

Avec notre association, Cultura, promotrice du festival Nja Nja M’ndzang, notre ambition va bien au-delà du festival. A court terme, le centre de formation des futurs balafonistes est presque achevé à Bertoua. L’inauguration se fera au mois de Juillet 2023, avec le lancement de la première promotion des « balafonists child », c’est-à-dire la pépinière des futurs balafonistes issus des milieux sociaux défavorisés âgés de 5 à 18 ans. Ces enfants auront l’avantage d’avoir une formation intégrale et gratuite en musique. En 2024, nous voulons restaurer la mémoire des grands maîtres du balafon au Cameroun et en Afrique à travers une exposition à eux dédiée. Beaucoup sont morts dans l’indifférence totale ; des lignées de balafonistes ont disparu ! Notre mission sera de les identifier et d’y travailler pour leur restauration. Toujours dans la lancée de 2024, nous voulons lancer le concours intracommunautaire dont la finalité sera d’apporter une contribution à la sauvegarde et à la valorisation des identités au travers du balafon. Ce concours permettra également d’utiliser le balafon pour défendre une cause sociale. Les femmes ne sont pas en reste dans notre projet ; puisqu’elles font déjà partie prenante de la formation des « Balafonist Child ». Nous avons également pour ambition de mieux valoriser les femmes dans ce festival ; voilà pourquoi nous voulons développer tout un concept pour elles ; il s’agit du concept ‘’WOMEN DO IT, MAKE AND PLAY XYLOPHONES’’.

Propos recueillis par Désiré ETOGO d’Africultures.